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Alors que les propositions de loi coercitives continuent d’affluer au Parlement, le Conseil national de l’Ordre des médecins a dévoilé aujourd’hui son tout nouveau rapport sur la démographie médicale. Les résultats ne laissent guère place à l’optimisme : une diminution du nombre de praticiens actifs, une érosion de l’exercice en tant que professionnel libéral, et une tendance alarmante à l’abandonnisme à la fin des études médicales. Le président de l’Ordre, le Dr François Arnault, met en garde contre des perspectives encore plus inquiétantes si la crise d’attrait pour la profession n’est pas résolue de toute urgence. Plongeons maintenant dans le tableau effrayant qui se dessine devant nous.

Le nombre de retraités actifs en déclin

L’Atlas 2023 tant attendu s’est focalisé sur les médecins exerçant pleinement leur activité, incluant ceux ayant une pratique régulière, des remplacements occasionnels (tant en libéral que sous contrat salarié à court terme) et les retraités cumulant emploi et retraite. En revanche, il n’a pas pris en compte l’ensemble des médecins inscrits à l’Ordre, étant donné que « environ un tiers d’entre eux sont des retraités sans aucune activité. Cela a des implications comptables, mais cela importe beaucoup moins en termes d’offre de soins », a souligné le Dr Jean-Marcel Mourgues.

Si le nombre de médecins en activité a augmenté (de +8,5 % entre 2010 et 2023), atteignant 234 028 médecins actifs au 1er janvier de cette année, contre 215 663 treize ans plus tôt, cette observation masque une réalité plus sombre : Cette augmentation repose sur un groupe de médecins qui est destiné à diminuer.

En effet, le nombre de médecins exerçant régulièrement (le groupe le plus important) a légèrement diminué de -1,3 % : il est passé de 200 045 à 197 417 entre 2010 et 2023. Dans le même temps, le nombre de retraités exerçant une activité a augmenté de manière considérable, passant de 5 600 à plus de 20 000, soit une augmentation d’environ 260 %. De plus, le nombre de médecins exerçant de façon intermittente a également augmenté de manière significative, bien que plus modeste, de 64 %, passant de 10 006 à 16 450.

Au fil des années, le pourcentage de retraités actifs parmi tous les retraités a diminué, passant de 22,5 % en 2015 à 19,5 % aujourd’hui. Cette tendance à la baisse soulève des préoccupations, car les retraités représentent actuellement 8,6 % de l’ensemble des médecins en activité. Le vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins explique cette diminution comme étant « le reflet inversé de ce qui a été le numerus clausus ». Dans un proche avenir, une génération de médecins qui a été soumise à des restrictions strictes de places (numerus clausus) rejoindra les rangs des retraités actifs. Cependant, ce groupe sera moins nombreux en raison de ces restrictions. « En 1993, le numerus clausus était fixé à 3 500 étudiants admis en deuxième année de médecine, soit trois fois moins que ce qui est actuellement admis grâce au numerus apertus », rappelle le médecin généraliste.

Une diminution progressive de la pratique médicale en tant que professionnel libéral

L’Atlas 2023 met également en évidence une dégradation de la pratique médicale en tant que professionnel libéral, une tendance que certains élus souhaitent rendre plus contraignante au profit de l’emploi salarié qui semble « de plus en plus attrayant pour les médecins en activité ». En 2010, l’activité salariée représentait 41,9 % des médecins en pratique régulière, mais elle compte désormais pour 48,2 % au 1er janvier 2023, détrônant ainsi le secteur libéral. De leur côté, le nombre de médecins en pratique régulière en statut libéral exclusif a diminué de 11,8 % entre 2010 et 2023, tandis que celui de l’exercice mixte a connu une baisse de 12,6 %. En revanche, le nombre de médecins salariés a augmenté de 13,4 %. Les médecins généralistes continuent toutefois de privilégier le secteur libéral en tant que mode d’exercice principal, tout comme les spécialistes chirurgicaux. En revanche, les spécialistes médicaux, en dehors des généralistes, tendent à préférer l’emploi salarié.

Le Conseil national de l’Ordre des médecins s’est également penché sur le comportement des jeunes médecins spécialistes en médecine générale qui se sont inscrits pour la première fois à l’Ordre en 2010. Cette année-là, près d’un sur deux exerçait en tant que remplaçant et seulement 16,5 % d’entre eux optaient immédiatement pour une pratique libérale régulière. En 2015, cinq ans plus tard, 41,5 % de ces mêmes médecins avaient choisi une pratique libérale régulière. Cependant, en 2020 et 2023, le pourcentage de médecins généralistes en pratique régulière libérale reste sensiblement le même (45,4 % et 46 %). « Il est clair qu’il y a un plafond de verre où la pratique régulière libérale ne séduit plus que la moitié des médecins », a constaté le Dr Mourgues, soulevant ainsi un problème d’attractivité.

-1 146 généralistes en un an

Les représentants des médecins généralistes expriment leur préoccupation quant à une potentielle diminution de l’attrait de cette spécialité, principalement en raison de l’introduction d’une quatrième année d’études en médecine générale, un débat qui a été source de controverses. Le vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins observe déjà une baisse du nombre de généralistes en activité régulière, avec une diminution de 1 146 médecins généralistes en 2022. Entre 2010 et 2023, les effectifs de médecins spécialistes en médecine générale ont diminué de 2 %, tandis que ceux des autres spécialités médicales (en dehors de la médecine générale) ont augmenté de 17,9 % et ceux des spécialistes chirurgicaux de 19,6 %.

Au 1er janvier 2023, 19 autres spécialités médicales affichent des bilans négatifs, c’est-à-dire qu’elles perdent plus de médecins en activité régulière qu’elles n’en gagnent (comme l’ophtalmologie, avec une baisse de 119 médecins en 2022). En revanche, 33 autres spécialités médicales présentent des bilans positifs en 2022, notamment la médecine d’urgence (+363 médecins) et la gériatrie (+214 médecins). Dans l’ensemble, le bilan des médecins en activité régulière a connu une diminution de 394 médecins entre le 1er janvier 2022 et le 1er janvier 2023. La majorité des médecins (59 %) qui quittent leur activité régulière le font pour prendre leur retraite sans poursuivre d’activité médicale ou pour opter pour le cumul emploi-retraite. D’autres motifs de sortie incluent la radiation administrative (19,4 %), l’activité intermittente (15,7 %) et l’arrêt temporaire d’activité (5,8 %).

Par ailleurs, la proportion de médecins généralistes parmi l’ensemble des médecins en activité régulière continue de diminuer, passant de 47 % en 2010 à 42 % en 2023. En revanche, les spécialistes médicaux (en dehors de la médecine générale) représentent 45,2 % des médecins en activité régulière, tandis que les spécialistes chirurgicaux représentent 12,8 %.

Les disparités régionales s’accentuent davantage

Parallèlement, les disparités territoriales persistent et s’aggravent, selon le Dr Mourgues. On observe toujours une « diagonale du vide » qui traverse le territoire national, du nord-est à l’intérieur du sud-ouest. En revanche, on constate une attractivité particulière sur le littoral atlantique, la frontière orientale et les départements des Savoies, qui bénéficient d’une réelle attractivité démographique. Le Centre-Val de Loire (217,8), la Bourgogne Franche-Comté (259,9) et la Normandie (254,6) font partie des régions les moins bien pourvues en médecins, avec une densité médicale moyenne de 294,7 médecins en activité pour 100 000 habitants. En revanche, l’Île-de-France (318,9) et la Provence-Alpes-Côte d’Azur (339,1) affichent les densités les plus élevées. Cependant, ces constatations varient selon les spécialités, et des disparités sont observées à l’intérieur des régions.

Le Dr Mourgues tient à souligner que le terme de « désert médical », largement utilisé et médiatisé dans le débat politique, n’est pas scientifiquement solide. « On a défini de manière simplifiée et inexacte les déserts médicaux comme des zones sans médecin traitant, autrement dit sans médecin généraliste, mais cela concerne également les autres spécialités médicales et chirurgicales, ainsi que l’exercice hospitalier, et souvent l’ensemble des autres professionnels de santé ».

Le vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins met en avant plusieurs facteurs expliquant l’aggravation des inégalités territoriales. Tout d’abord, il y a l’origine géographique des étudiants en médecine. Les zones sous-dotées ne sont pas représentées proportionnellement à leur poids démographique dans les facultés de médecine. L’attractivité des territoires joue également un rôle crucial. Les professionnels de santé sont des citoyens comme les autres et sont sensibles aux conditions de vie, aux possibilités d’éducation pour leurs enfants et à l’opportunité pour leur conjoint de trouver un emploi. La qualité de l’environnement sanitaire, c’est-à-dire la présence d’hôpitaux, de confrères et de spécialistes sur le territoire, est également un élément important.

Enfin, la sécurité, le coût du logement et les temps de transport ont un impact significatif. Les territoires sous-dotés sont souvent défavorisés sur ces différents aspects. « Le problème, c’est que ces territoires les plus défavorisés sont également ceux qui sont confrontés aux défis les plus importants. Par exemple, en Creuse, 40 % de la population a plus de 65 ans, contre 27 % au niveau national », a indiqué le vice-président.

Le nombre de médecins étrangers augmente

Alors que le gouvernement travaille sur son projet de loi sur l’immigration, l’Atlas 2023 révèle une augmentation significative du nombre de médecins étrangers au fil des années. En 2010, ils représentaient 7,1 % des professionnels inscrits à l’Ordre, tandis qu’au 1er janvier 2023, cette proportion atteint 12,5 %. Cette tendance est encore plus marquée parmi les spécialistes médicaux, qui comptent 16,9 % de médecins étrangers en 2023, contre 9,2 % en 2010, et parmi les spécialistes chirurgicaux, avec 19,8 % en 2023 par rapport à 11,2 % en 2010.

En ce qui concerne les médecins généralistes en activité, la proportion de médecins diplômés à l’étranger est de 6 % au 1er janvier 2023. Les médecins étrangers sont proportionnellement plus présents dans les départements où la densité médicale est plus faible, notamment dans les régions centrales de la métropole et autour de la région parisienne, explique le vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins. En médecine générale, ils sont plus fréquemment implantés dans les zones rurales en marge par rapport aux médecins généralistes formés en France.

Une tendance d’abandonnisme constatée chez les étudiants en fin de cursus universitaire ?

Le Dr Mourgues a mis en évidence la difficulté de faire des projections démographiques avec des données fragiles. Le vice-président de l’Ordre a mentionné des signes d’abandonnisme dans les études médicales, sans fournir plus de détails, et a établi un lien avec les récentes réformes des cycles d’études médicales. Il a toutefois souligné que ce phénomène ne concerne pas uniquement les futurs médecins, citant notamment les étudiantes infirmières. Le Dr Mourgues a également souligné les difficultés à obtenir des informations fiables sur d’éventuels abandons en cours d’études, précisant que seul l’enregistrement au RPPS ou l’inscription à l’Ordre permet d’en avoir connaissance.

« Ce qui nous préoccupe le plus, c’est l’abandon constaté à la fin des études », a ajouté le Dr François Arnault. Il a souligné que certains médecins diplômés ne pratiquent pas leur métier après dix ans de formation médicale et de qualification et une longue préparation, ce qui suscite une réelle interrogation. « Ces éléments constituent de solides indicateurs pour expliquer aux parlementaires et au gouvernement que le désintérêt des jeunes étudiants et des jeunes médecins diplômés découle des conditions d’exercice », a-t-il affirmé, adressant ainsi un message fort alors que la proposition de loi Valletoux doit être examinée en séance publique à partir du 12 juin par les députés. Le président de l’Ordre a souligné le non-sens que représente la régulation de l’installation, et bien qu’il pense que les élus et le gouvernement en soient conscients et reculent sur cette question, rien n’est encore acquis.

Dans l’ensemble, ces constatations montrent que l’exercice de la médecine tel qu’il est pratiqué actuellement n’est pas attractif pour les jeunes médecins, a conclu le président de l’Ordre. Il considère cela comme le meilleur indicateur possible. Il a plaidé en faveur de l’ouverture du numerus clausus, mais a déploré que les parlementaires et le gouvernement « écoutent », mais ne passent pas à l’action. Il prévient que les projections seront probablement encore plus sombres si nos parlementaires et nos gouvernants continuent à accabler les médecins.